Ici la voix. C’est elle qui te parle. Tu l’entends sans savoir d’où elle vient. Elle donne des informations, répond à tes questions, exécute tes ordres à la demande. Comme une majordome digital à ton service. Un robot invisible, un fantôme qui hante nos téléphones, boxes et appareils électroniques. Elle est partout et nulle part.
Jenny ou John ?
La voix se personnalise à l’envi. Intelligente, elle enregistre et apprend au fur et à mesure. On lui parle en « langage naturel », comme à un autre être humain. Actuellement, 16% des foyers aux Etats-Unis sont équipés d’enceintes connectées, un chiffre qui devrait s’élever à 75% en 2020 (source : VoiceLabs 2017 Voice Report, InfoScout, 2016). Par sa capacité à soutenir une conversation, l’enceinte devient peu à peu un « membre de la famille » (Nicolas Maynard, manager national d’Alexa France). Le branding facilite la personnification, par un naming qui se rapproche des prénoms ou surnoms, l’empathie que la machine développe et un humour qui casse sa froideur.Une révolution annoncée
Le succès de l’enceinte connectée s’explique par son accessibilité, prix d’abord, mais surtout technique : aucune compétence n’est nécessaire, l’usage est intuitif et libère nos mains. La réaction du device est instantanée, il se met à nos ordres à tout moment du jour ou de la nuit. Le jeune parent peut ainsi commander un nouveau paquet de couches en saupoudrant de talc le fessier de son nouveau-né.La technologie redéfinit nos relations interpersonnelles
Les marques se veulent « conversationnelles » (#buzzword), grâce à des plateformes, des chatbots ou la voix. D’après le spécialiste de la communication Clifford Nass, le cerveau humain fait « rarement la différence entre le fait de parler à une machine – même ces machines avec une très faible compréhension et un langage de mauvaise qualité – et à une personne » (Wired for Speech. How Voice Activates and Advances the Human-Computer Relationship, MIT Press, 2005). C’est l’effet ELIZA, du nom du chatbot développé en 1966 par le MIT. Il exprime la tendance que nous avons à assimiler de manière inconsciente le comportement d’un ordinateur à celui d’un être humain et à encourager l’investissement émotionnel. Mais peut-on vraiment avoir une conversation avec Alexa ?
Est-ce une conversation lorsque l’autre est tout à notre service ?
Le dessein de l’assistant-robot est de satisfaire nos demandes, H24 et 7 jours sur 7. Il ne prend pas de jours de congé et ne se plaint jamais. Pas même besoin de lui dire « s’il te plaît, merci », les codes du rapport respectueux sont perdus. On s’inquiète un peu pour ceux qui apprennent à parler à notre époque. Pour les autres, on conserve nos habitudes sociales. À leur lancement, Siri, Alexa, Cortana et Google Assistant avaient tous des voix féminines, car les hommes et les femmes « préfèrent le son d’une voix de femme ». Nous serions conditionnés à voir des femmes dans des rôles administratifs (Adrienne LaFrance, in the Atlantic 2016). Le Monde se demande si « interagir au quotidien avec un artefact interprétant de manière si appliquée le rôle de la femme corvéable ne flatte pas nos vieux penchants phallocrates, conduisant à un renforcement des inégalités de genre. » D’ailleurs, est-il nécessaire d’attribuer un genre à un robot ? L’université de Stanford se pose la question dans son étude « Are computers gender-neutral ? ». La première voix gender-neutral est née cette année : Q, dont la fréquence est toujours comprise entre 145 et 175 Hz, évitant ainsi les extrêmes genrés.